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Covid-19 et lieux de privation de liberté : que recommande le Sénat ?

Pénal - Pénal
04/05/2020
La commission des lois du Sénat a rendu son second rapport d’étape sur la mise en œuvre de l’état d’urgence sanitaire, le 29 avril 2020. L’occasion de faire le point sur la gestion des lieux de privation de liberté.
Dès le début du confinement, la situation dans les lieux de privation de liberté a suscité des inquiétudes. Comment trouver le bon équilibre entre l’urgence sanitaire et la sécurité publique ?
 
La mission de suivi du Sénat, qui a publié son second rapport d’étape le 29 avril, l’affirme. S’agissant des établissements pénitentiaires, des centres de rétention administrative (CRA) et des centres éducatifs fermés (CEF), « compte tenu de la surpopulation carcérale, de la difficulté de respecter les gestes barrières et la distanciation sociale dans ces espaces clos, on pouvait craindre que le virus, une fois introduit dans l’un de ces établissements, s’y répande au point de les transformer en véritables « clusters », ou foyers infectieux ».
 
D’autant plus que les mesures prises par la garde des Sceaux, légales ou non, ont suscité de vives réactions de la part des professionnels qui les ont jugés insuffisantes au regard de la gravité de la situation (v. Covid-19 et détention : des mesures jugées insuffisantes, Actualités du droit, 16 avr. 2020). Alors, qu’en pense la mission de suivi ?
 
 
Le mot d’ordre en prison : la vigilance
Le Sénat rappelle qu’au 24 avril 2020, la Contrôleure générale des lieux de privation avait indiqué que :
- 250 membres du personnel ont été testés positifs au Covid-19 ;
- 101 contaminations confirmées chez les détenus.
 
À noter que 10 jours avant, 34 détenus étaient confirmés positifs au Covid-19. Mais pour la commission, « rapportés aux effectifs de l’administration pénitentiaire (environ 42 000 ETPT) et au nombre de détenus (environ 62 000), ces chiffres restent modestes, même s’ils ne tiennent vraisemblablement pas compte d’un certain nombre de cas asymptomatiques ». La propagation de l’épidémie semble donc limitée et ce, grâce aux mesures prises dès le 17 mars par la garde des Sceaux (v. Covid-19 : des « mesures exceptionnelles » pour les détenus, Actualités du droit, 19 mars 2020 et Covid-19 : ce que prévoit l’ordonnance adaptant la procédure pénale, Actualités du droit, 25 mars 2020).
 
Mais le Sénat prévient : « la prudence reste néanmoins de mise car un relâchement des mesures de prévention, à la faveur du déconfinement, pourrait rapidement noircir ce bilan ».
 

15 % de détenus en moins
Adeline Hazan, Contrôleure général des lieux de privation, a soutenu à plusieurs reprises qu’il faut « arriver à l’encellulement individuel si l’on veut pouvoir parler de confinement pour ces détenus ». Elle demandait alors que 13 000, voire 15 000, détenus soient libérés pour garantir la sécurité sanitaire des détenus (v. Covid-19 et détention : des mesures jugées insuffisantes, Actualités du droit, 16 avr. 2020).
 
La baisse doit néanmoins être saluée. « En l’espace de cinq semaines, le nombre de détenus dans les prisons françaises a baissé d’environ 15 %, ce qui est sans précédent dans l’histoire récente de l’administration pénitentiaire » souligne la commission. En effet, la ministre de la Justice a annoncé qu’au 23 avril 2020, 11 500 détenus ont été libérés depuis le 16 mars (v. Covid-19 et prison : la situation continue d’inquiéter, Actualités du droit, 29 avr. 2020). Précisant que cette baisse s’explique tant par la diminution de l’activité des juridictions pénales que par la libération anticipée de détenus proches de la fin de leur peine.
 
« Cette évolution du nombre de détenus a amélioré les conditions de travail du personnel pénitentiaire et les conditions d’encellulement des personnes condamnées, tout en facilitant la mise en œuvre de mesures de prévention du virus », affirment les rapporteurs.
 
Dans leur première analyse des décrets et ordonnances, rendue publique le 2 avril par la commission des lois du Sénat, la vigilance était de mise concernant la libération anticipée de certains détenus. La mission de suivi estimait qu’elle « doit cependant être opérée avec beaucoup de discernement pour éviter, d’une part, que ces libérations ne débouchent sur une recrudescence de la délinquance et pour s’assurer, d’autre part, que les personnes libérées disposeront, après leur sortie de prison, d’une solution d’hébergement satisfaisante leur permettant de respecter les règles de confinement ».
 
Il n’empêche que cette baisse donne de l’espoir au Syndicat national des directeurs pénitentiaires, qui demande dans une lettre ouverte au Président de la République du 20 avril 2020, l’encellulement individuel. Droit prévu depuis 1875 et non respecté par la France depuis des décennies à l’instar de la condamnation de la CEDH après avoir été saisie par 32 personnes détenues (v. Surpopulation carcérale : la France épinglée par la CEDH, Actualités du droit, 6 févr. 2020). « Il ne sera en effet plus jamais possible de prétendre que l'encellulement individuel constitue un objectif inatteignable, que le numerus clausus est une chimère » argue le Syndicat.
 
La mission de suivi se dit ouverte à ces réflexions mais s’interroge néanmoins sur « l’impact que la baisse du nombre de personnes détenues pourrait avoir sur le niveau de la délinquance, pendant le confinement (…) et peut-être plus encore à son issue ». En effet, les règles en période de confinement restreignent la liberté de mouvement des personnes ayant bénéficié d’une libération anticipée ou ceux pour lesquels leur jugement a été repoussé. Le Sénat appelle donc « nos forces de sécurité et l’autorité judiciaire à être attentives à l’éventuelle hausse de la délinquance qui pourrait résulter du rétablissement progressif de la liberté d’aller et de venir ».
 
 
La nécessité de maintenir les liens familiaux
Après la fermeture des parloirs, le ministère de la Justice avait annoncé le 19 mars la mise en place de mesures exceptionnelles, comme un crédit de 40 euros par mois sur le compte téléphonique de chaque détenu jusqu’à la fin du confinement, la gratuité de la télévision et une aide majorée de 40 euros par mois pour les détenus les plus démunis leur permettant de cantiner (v. Covid-19 : des « mesures exceptionnelles » pour les détenus, Actualités du droit, 19 mars 2020).
 
Le forfait téléphonique avait fait l’objet de débat. En effet, 40 euros correspond à 11 heures de communication vers une ligne fixe et 5 heures vers un téléphone portable. La Contrôleure générale des lieux de privation de liberté demandait alors la gratuité des communications téléphoniques aux détenus pour « compenser la tension familiale » pendant toute la durée de la crise sanitaire (v. Covid-19 et détention : des mesures jugées insuffisantes, Actualités du droit, 16 avr. 2020). La mission de suivi soutient sa demande et affirme qu’elle « accueillerait favorablement un geste supplémentaire de l’administration pénitentiaire ».
 
À noter que les parloirs reprendront dans la semaine du 11 mai, « en respectant des mesures sanitaires strictes pour assurer la protection de tous » assure le ministère de la justice dans un communiqué publié le 30 avril :
- les parloirs seront limités à un seul visiteur par détenu ;
- l’apport du linge ne sera pas possible ;
- le respect des mesures barrières ;
- le port du masque est obligatoire pour tous les visiteurs dès l’entrée en détention.
 
Ces mesures feront l’objet d’une réévaluation le 2 juin.
 
 
Une reprise des cours souhaitée en mai
La mission de suivi de la loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 « plaide pour une reprise des cours si possible dès le mois de mai, dans des conditions compatibles avec la sécurité sanitaire ».
 
En effet, à la suite de l’arrêt du travail et de la formation professionnelle en détention, l’absence de connexion internet complique le travail à distance des détenus. La mission souhaite donc s’assurer que la configuration des locaux permet de respecter les distances de sécurité pour une reprise des cours rapide et demande, en attendant, que les éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) assurent le suivi pédagogique.
 
 
Des mutineries évitées
Dès le début du confinement, la crainte de voir des mutineries en prison éclater était bien présente. Cela a d’ailleurs était le cas dans plusieurs prisons, souligne la commission. Néanmoins, il est précisé que l’administration pénitentiaire à garder la maîtrise des événements.
 
Aussi, « les dispositions de l’ordonnance n° 2020-303 du 23 mars 2020, qui ont exclu du bénéfice des mesures de réduction de peine les détenus ayant participé à des actions de mutinerie, ont aussi favorisé le retour au calme dans les établissements pénitentiaires ».
 
Pour rappel, l’ordonnance prévoit la possibilité d’accorder un crédit de réduction de peine supplémentaire pour ceux ayant eu un comportement exemplaire pendant cette période (v. Covid-19 : ce que prévoit l’ordonnance adaptant la procédure pénale, Actualités du droit, 25 mars 2020).
 
Cette mesure, saluée par le Sénat, était pour autant critiquée. Adeline Hazan affirmait notamment que « c’est une bonne mesure mais il est indiqué que cette réduction exceptionnelle ne sera appliquée qu’à la fin de la crise sanitaire en fonction du comportement des détenus ; ça n’a aucun sens compte tenu de la gravité de la situation » (v. Covid-19 et détention : des mesures jugées insuffisantes, Actualités du droit, 16 avr. 2020).
 
Un risque de récidive
Les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) permettent la libération anticipée des détenus. Ces derniers sont en effet chargés d’assurer le suivi et le contrôle des personnes placées sous-main de justice.
 
Néanmoins, la mission du Sénat relève que :
- le travail des SPIP est rendu difficile par le retard numérique du ministère de la Justice ;
- et le SPIP n’a pu « maintenir le niveau d’accompagnement habituel de ces personnes en vue de leur réinsertion sociale et professionnelle, ce qui peut faire craindre un risque accru de récidive dans un contexte économique détérioré compliquant le retour à l’emploi, et il est difficile de contrôler si toutes les personnes libérées résident bien à l’adresse qu’elles avaient indiqué avant leur sortie de prison ».
 
La commission annonce que des investigations complémentaires permettront de mieux évaluer les difficultés des SPIP et d’apprécier le rôle du secteur associatif habilité.
 
Quid des centres éducatifs fermés et des centres de rétention administratifs ?
« La mission n’a pas encore procédé à l’ensemble des investigations qui lui seraient nécessaires pour dresser un tableau complet de la situation dans les centres éducatifs fermés (CEF), établissements dans lesquels sont placés des mineurs délinquants, et dans les centres de rétention administratifs (CRA), dans lesquels sont retenus des étrangers en situation irrégulière dans l’attente de leur éloignement », précise le rapport. Néanmoins, des premières pistes de réflexion ont été exposées concernant ces lieux de privation de liberté.
 
Centres éducatifs fermés – Le Sénat énonce que, lors de son audition, la Contrôleure général des lieux de privation de liberté a affirmé que le nombre de jeunes placés dans les centres a diminué. Néanmoins, les rapporteurs soulignent que l’une des spécificités de ces centres éducatifs fermés est le taux d’encadrement qui a été affecté par l’épidémie. Ils « insistent, par conséquent, sur l’importance de la continuité scolaire pour ces jeunes et solliciteront le ministère de l’Éducation nationale pour établir quelles solutions ont pu être trouvées ».
 
Centres de rétention administratifs – Les CRA sont occupés aujourd’hui à hauteur de 10 % souligne la commission. La raison ? « L’arrêt des liaisons aériennes internationales a considérablement réduit les possibilités d’éloignement des étrangers sans titre ». Ainsi, des CRA ont été fermés pour regrouper les personnes retenues dans quelques centres.
 
Après une visite de la Contrôleure générale dans l’un de ces centres, la mission soulève qu’a été publié « un courrier de saisine du ministre de l’intérieur dans lequel elle dénonce, dans des termes sévères, des condition d’hébergement ne garantissant pas la sécurité sanitaire dans le contexte de l’épidémie et des atteintes graves aux droits fondamentaux des personnes retenues ». Elle demande ainsi leur fermeture provisoire. Fermeture rejetée par le Conseil d’État (v. Covid-19 : rejet de la requête visant à fermer provisoirement les centres de rétention administrative, Actualités du droit, 30 mars 2020) mais s’agissant du CRA de Vincennes, il a enjoint les autorités à exclure ce centre comme lieu d’exécution des futures mesures de placement en rétention. Ordonnance exécutée partiellement, souligne la commission du Sénat.
 
« La mission de suivi estime dès lors urgent d’améliorer les conditions d’hygiène et le respect des mesures barrières ». Néanmoins, pour elle, « procéder à la fermeture des CRA de façon indiscriminée ne serait pas sans risque, en raison du profil des personnes actuellement retenues », la majorité étant des personnes sortant de prison souligne-t-elle.
 
La commission prévoit d’auditionner différents acteurs, notamment la Direction centrale de la police aux frontières, la Direction des étrangers en France, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides et ou encore l’Office français de l’immigration et de l’intégration.
 
 
Création des régies de recettes et d’avances
Un arrêté du 30 avril 2020 publié au Journal officiel du 3 mai 2020 (Arr. 30 avr. 2020, NOR : JUSK1933430A, JO 3 mai) habilite la garde des Sceaux à créer, après avis conforme du comptable public assignataire, des régies de recettes et d’avances auprès des établissements pénitentiaires, des SPIP et des résidences administratives au sein des directions interrégionales des services pénitentiaires et de la mission des services pénitentiaires d’outre-mer.
 
Régies de recettes – Il est prévu que les régies de recettes auprès des établissements pénitentiaires et résidences administratives encaissent le remboursement des charges des agents logés et numéraire n’appartenant pas aux personnes placées sous-main de justice.
 S’agissant des SPIP, l’arrêté prévoit l’encaissement des recettes suivantes : dons et remboursement des prêts accordés aux personnes suivies par le SPIP.
 
Des mandataires pourront être désignés, tant par le régisseur de recettes d’un établissement pénitentiaire que d’un SPIP.
 
Régies d’avances – Les régisseurs d’avances auprès des différents établissements, services et résidences administratives sont habilités à payer les dépenses de matériel et fonctionnement quand elles sont urgentes et exceptionnelles ou relatives à l’achat des petites fournitures pour des réparations conservatoires.
 
Ainsi :
- l'intermédiaire des régisseurs d'avances des établissements pénitentiaires peut payer l’achat des biens et prestations de services nécessaires à l’entretien des personnes détenues et personnes indigentes libérales ;
- l’intermédiaire des régisseurs d’avances des SPIP peut payer les secours et aides financières directes, les dépenses urgentes relatives à l’achat de biens et de prestations de services nécessaires à l’hébergement, l’entretien, la santé, le transport, l’éducation, la culture, le travail et la formation des personnes suivies par le SPIP ainsi que les prêts accordés aux personnes suivies par le SPIP dans la limite d’un montant de 160 euros.
 
Des mandataires pourront être désignés pour certaines opérations.